mardi 3 novembre 2009

La petite musique est de retour.
Bien entendu, il fallait qu'elle revienne lorsque je ne l'attendais pas, celle là...
Cette catin, qui me dicte la vie sur différents airs.

Au début, on m'avait mis la tête au fond des chiottes, bien que je me demande si je n'avais moi même pas essayé d'y plonger, histoire de voir ce que ça fait.
On résiste, on lutte inutilement, l'étreinte se renforce.
Puis on y prend goût, on avale.
Ouais on avale.

Et à un moment on se rend compte que l'étreinte n'est plus.
Désentravé, on hésite à se lever pour respirer ou continuer, dans le fond des chiottes, à peser le pour et le contre de tout et de rien.

Désentravé.
Voilà, ça c'est fait.
On écarquille les yeux, tout est limpide.
Tout est limpide.
A croire que la merde du fond des chiottes sert d'étalonnage en terme de contrast.
Règle ton écran, hop, avale en guise de "degauss".
Quoi? Encore flou?
Avale encore un coup. C'est bon la luminosité? Plus de bruit, plus de grain?

Cette limpidité, on en vient à remercier le marchant de stress d'être passé et de nous avoir vendu sa came.
L'anti-rêve, l'ancre de normalité sociale, le calibrage des ambitions, la cessation de paiement de l'âme.

Tiens, voilà que ce VRP éthéré de la non-couleur revient à la charge.
Il a oublié de nous mettre plein la gueule des offres promotionnelles, des échantillons, des cadeaux commerciaux, qu'il dit.
La petite musique s'emballe, la boite à musique s'emplie de molécules racémiques de type ,4-méthylène-dioxy-méthylamphétamine.
Du S(+) et du R(-), en voilà.
Les notes se dédoublent, une étrange harmonie atonale prend place et se réverbère partout sur les parois du crane.
Le Fleuve Mécanique est en marche, ce flot incongru de notes volatiles sortent de la bouche de ce marchand de stress.

Voilà qu'il me propose un échantillon de stress dit "La peur du VIH en attendant ses résultats du Laboratoire d'Analyses Médicales".
Il reconnait que le nom est trop long, le service marketing planche sur un nouveau slogan plus fédérateur, du type "la peur sidaique".
Il me propose également "La culpabilité du Pauvre".
Celle-ci me plaît d'avantage, je suis prêt à signer le bon de commande, surtout quand je vois la petite clause stipulant qu'il est ici question de pauvreté morale, d'atrophie sentimentale.

Il ne s'arrête plus, voilà qu'il me déballe tout de son catalogue, la petite musique déraille, je ne comprend plus qu'un mot sur trois, si l'on peut appeler cela des mots...
Oui, non, voilà, ce sont des images mentales, avec une accélération cardiaque, un raidissement de la nuque, mais à chaque fois, d'une manière différente.
Il me vend son stress en ligne, le streaming est à fond, je n'ai même plus le temps de cocher les conditions de vente qu'il m'upload dans la ganache tout un tas d'articles.
Il connait son boulot, l'enflure.

La petite musique se transforme en bruit blanc, je continue de déglutir tout ce qu'il me force à acheter, au prix dérisoire de mon âme. Il s'approprie mes sentiments, qui sombrent dans le domaine public, ça y est ils vont povoir être plagiés, mis en vente libre.
Finalement je me dis que j'aurai mieux fait de rester la tête au fond de la cuvette, d'ailleurs elle n'est pas loin, à 2 mètres seulement.
Mais devoir tourner le dos à ce très cher marchand de non-rêve serait regrettable.
Un immonde sentiment de culpabilité m'emparerait et je m'en voudrais de rater tout ce qu'il me propose à la vente.
Je continue de paier, je fouille encore le fond de mes poches, celle de l'esprit, je lui règle comptant toutes ses merdes, à coup de pensées, de souvenirs.

Il me montre les pages du catalogue, ça défile, je ne retiens rien, j'opte pour presque tous les articles.
"La peur de la réunion professionnelle inattendue, le matin."
"Le coup d'adrénaline de la voiture qui vous frole à côté du trotoir." Bof, minable celui ci.

Au passage il me fait signer un abonnement illimité, non résiliable ou contre paiement,
"La Peur Symétrique", celle de la peur de l'autre, celle qui engendre cette même peur CHEZ l'autre, et qui vous plonge dans cette spirale moisie.
La musique devient folle, elle m'ordonne de signer, je m'exécute, ne pouvait résister à ce marketing viral.

Ce marchand de stress mute en l'avatar de Shiva.
Avec ses plusieurs paires de bras, il m'omnibule, il m'hypnotise.
Je ne fais que suivre du regard, le regard lavé au sérum physiologique issu des chiottes.

"La peur du découvert bancaire de fin de mois". Pourquoi pas, c'est un article somme toute populaire.
Un 20-80 qu'il me dit.
Je ne comprends pas.
Il m'explique que ça fait partie de l'un de ses 20 articles qui lui assurent 80% de son chiffre d'affaire.
Le best seller en somme.
A cela s'ajoute "la peur du gendarme sur l'autoroute" qu'il me dit, un bon 20-80.
Pas intéressé, j'ai pas encore le permis en poche que je lui dis.
"Ce n'est pas un souci, en option je peux vous rajouter "véhicule volé et conduite sans permis"".
Je refuse.
C'est pas grave il rebondit, il me propose autre chose, il me montre la page du catalogue.

La musique s'arrête, tout s'arrête, l'autre con se fige.
J'ai bien compris qu'il dévorait mes pensées, mais il vient de tomber sur quelque chose qu'il n'aime pas.
"Merde, une âme sans provision, des pensées post-datées, un faussaire!".

Je me resaisis mais c'est trop tard, j'ai mal au cul, je n'ai plus de fausse devise, plus un rond de toc, ni même un rectangle d'ailleurs.
Il fulmine, je lui dis d'aller enculer un vide-ordures, il me traite de Bizarro,
je lui réponds de s'enfoncer un...

La petite musique laisse place à un léger grésillement, le cd a été éjecté, tournant encore sur lui même.
Merde, midi 05, c'est même pas encore la pause déjeuner mais je n'ai pas avancé sur mon travail.
Encore une matinée gâchée par un commercial...


Quelque chose me dit que ce n'était que mon premier entretien avec ce con là, lorsque je remarque sur mon bureau, sa carte de visite ainsi qu'un parapheur de contrats signés de ma main.

merde.


A.